«Si l'individu ne s'est pas présenté de son plein gré»
Ce n'est pas parce qu'on est « forcé » d'aller au turbin qu'on entre dans la catégorie des travailleurs forcés, même si on déteste son emploi. L'Organisation Internationale du Travail (OIT) a donné une définition relativement précise de ce qui entre dans cette catégorie. Il s'agit de «tout travail ou service qui est exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas présenté de son plein gré».Endetté envers son employeur
Trois éléments entrent en ligne de compte: le travail ou service doit être fourni à une tierce personne, sous la menace (sanctions physiques, financières, psychologiques, etc.) et contre sa volonté. Dans ce dernier cas, soit la personne a été engagée contre son gré, soit elle doit rester dans un emploi contre son gré. C'est la situation notamment des gens qui ont contracté une dette auprès d'un employeur ou d'un intermédiaire pour obtenir un poste. Le salaire ne couvre parfois même pas les intérêts de cette dette, qui peut passer à la génération suivante. Les deux critères principaux doivent s'additionner : absence de consentement et menace.Selon les dernières estimations de l'OIT, présentées à Genève le 1er juin dernier ,90 % des travailleurs forcés sont exploités dans le secteur privé, par des particuliers ou des entreprises. Cette pratique est souvent liée au trafic d'êtres humains. Trois quarts des victimes sont des adultes et la majorité (55%) sont des filles et des femmes. L'esclavage sexuel vient immédiatement à l'esprit (22% des cas), mais les deux tiers des personnes concernées sont exploitées dans des secteurs économiques, notamment l'agriculture. C'est sans doute la raison pour laquelle la durée moyenne de travail forcé, obtenue sur la base d'entretiens, se limite dans 50 pourcent des cas à 6 mois ou moins. L'OIT admet que ce chiffre est en soi biaisé puisque les cas non rapportés sont souvent les plus durables.
La lutte contre ce fléau peut s'appuyer notamment sur deux textes qui bénéficient «du plus haut taux de ratification parmi les Conventions de l'OIT, ce qui confirme l'engagement politique des Etats membres pour l'abolition du travail forcé», affirme un document de l'organisation. Il s'agit des Conventions 29 et 105, datant respectivement de 1930 et de 1957. Cela n'empêche pas l'exploitation de perdurer.
Pour Beate Andress, responsable du programme spécial de lutte contre le travail forcé à l'OIT, «notre action s'articule en trois volets: les poursuites, donc l'identification, qui passent par la formation des inspecteurs du travail et de la police; la prévention, qui suppose un effort d'éducation; et la protection, qui inclut les moyens de porter plainte et la collaboration étroite avec les Etats, les syndicats et la société civile.»
Le plus grand nombre de cas par habitant en Europe centrale et du sud-est
En 2005, l'OIT avait publié une première évaluation du nombre de travailleurs forcés dans le monde, soit 12,3 millions. La formule mathématique qui permet d'arriver à ce résultat sur la base de données existantes a été affinée depuis. La méthode ayant changé, le chiffre actuel de 20.9 millions «ne prouve pas que le nombre ait augmenté» prévient Beate Andress. «Nous avons une meilleure perception, explique-t-elle, mais sans doute bien en dessous de la réalité. Tant que les pays ne fourniront pas de chiffres, il sera difficile d'être plus précis».La majorité des victimes, en nombre absolu, se trouve en Asie, avec 11,7 millions, mais si l'on considère le nombre de cas par 1.000 habitants, c'est le bloc des Etats d'Europe centrale et du sud-est qui vient en tête. Les situations les plus dramatiques ne se passent pas toujours à l'autre bout du monde. Régulièrement, des cas d'exploitation sexuelle ou d'esclavage domestique font surface en Suisse.